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Ton dernier souffle

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Il y a 15 ans, ma chère maman est décédée du cancer. Le texte qui suit, très personnel, a été écrit il y a quelques années. J’ai eu envie de vous le partager. Même s’il parle de la mort et du deuil à faire, il célèbre la vie d’une personne qui a marqué si profondément la mienne. 

22 ans… c’est l’âge où j’ai appris que tu allais mourir. Que ton cerveau n’était que métastases. Que tu n’avais plus aucune chance de t’en sortir vivante. Le crabe qui avait attaqué tes poumons huit ans plus tôt avait gagné. Toi qui t’étais pourtant battue contre lui avec force et ténacité. « Grattez les fonds de tiroir, disais-tu à ton médecin, trouvez-moi un autre traitement, ça presse! ». Laisser derrière toi tes deux filles adorées? Impensable! L’espoir était ton cheval de bataille. Et le nôtre aussi.

***

Je me souviens de cette nuit. Sans vouloir me l’avouer complètement, j’ai réalisé que c’était le début de la fin. Dans le couloir de la maison, tu te tenais aux murs pour avancer. Le lendemain, c’est dans un lit d’hôpital que tu passais la nuit. La mienne n’a été qu’angoisse. Il faut dire que la suite me terrifiait. Et je savais qu’elle était inévitable.

***

Imaginer ma vie sans toi, c’était pratiquement impossible. En termes de « meilleure maman du monde », tu remportais la palme haut la main.

Ta présence était d’un réconfort absolu. Dans les moments de stress, le simple fait d’entendre ta voix ou de te serrer dans mes bras pouvait me calmer instantanément. Que ferais-je sans toi?

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Je me rappelle du moment où tu me l’as annoncé. Tu étais sur une civière à l’urgence. Papa était à tes côtés. Avec tendresse, en me regardant droit dans les yeux, tu m’as dit que le crabe était revenu. Qu’il avait laissé des petits intrus s’insérer partout dans ton cerveau. Tu t’es donné une dernière chance, une ultime tentative : des traitements de radiothérapie. Mais tu avais atteint le fond du tiroir. Il n’y avait vraiment plus rien à gratter.

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Après quelques jours d’hospitalisation, tu as fait un bref retour à la maison. Moi qui étais si heureuse au départ, j’ai vite déchanté. Tu n’étais que douleur. Tu ne tenais plus sur tes jambes. Tu perdais connaissance. Après une chute, papa a eu toutes les difficultés du monde à te relever. Te voir dans cet état nous a tous chamboulés.

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Tu étais à côté de moi. Je te voyais souffrir. Je ne savais pas quoi faire, quoi dire. Cette soirée-là, tu es partie en ambulance. Je savais que c’était la dernière fois que tu franchissais les portes de cette maison.

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Ton état a rapidement dégénéré. Je ne te reconnaissais plus. Les intrus dans ton cerveau avaient fait des ravages. Tu en perdais des bouts. Quand tu nous as dit presque joyeusement « j’ai hâte de retourner à la maison », mon cœur a failli éclater en morceaux. Tu n’y retournerais plus jamais à la maison.

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Passer la porte de l’hôpital, prendre l’ascenseur, être happée par les odeurs, marcher jusqu’au bout du couloir, entrer dans ta chambre. J’ai fait ce chemin pendant des semaines. Un jour de la marmotte aux allures cauchemardesques.

Chaque fois, je souhaitais retrouver ma mère, ma complice, celle avec qui je discutais de tout et de rien. Mais tu n’étais plus tout à fait là. Ton regard avait changé. Tu étais égarée.

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Un petit miracle est survenu. Tu as quitté l’hôpital pour être admise aux soins palliatifs dans un autre établissement de santé. Dans ta nouvelle chambre toute blanche, lumineuse, privée, tu as eu un regain de vie. Tu étais cajoleuse. Tu souriais à nouveau. Tu mangeais des morceaux de pommes avec appétit. Tu étais heureuse de voir arriver ta famille, tes amis.

Tu m’as fait de la place dans ton lit. Je me suis couchée à tes côtés. Te serrer à nouveau dans mes bras m’a réconfortée.

Ce soir-là, j’avais un souper avec la belle-famille. Tu m’as dit d’y aller, de prendre du temps pour moi. Généreuse petite maman…

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L’amitié a toujours eu une place importante dans ta vie. Tu aimais être bien entourée. Et les gens cherchaient naturellement ta compagnie.

Tu avais de merveilleux amis, qui ont été présents jusqu’à la fin. Eux aussi n’ont pas été épargnés, franchissant les portes de ta chambre pour en ressortir chaque fois bouleversés. Où était passée la femme pleine de vie au rire mémorable?

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Tu es finalement retombée dans un état comateux et souffrant. Il n’était plus possible de communiquer avec toi, ou si peu. Même si la simple pensée de te perdre me faisait mal, je souhaitais te voir partir. Pour que ton supplice prenne fin.

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L’infirmière nous avait expliqué les signes, ceux qui précèdent la mort. On t’observait, on restait à l’affût. On t’avait quittée ce soir-là sans les avoir remarqués.

Le lendemain, on a reçu un appel. Celui nous indiquant que la fin était proche.

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Tu as sans doute senti notre présence dans ta chambre. Celle de papa, l’homme que tu as aimé pendant 34 ans. Celle de tes deux filles, que tu avais si peur de laisser derrière. Celle de ta sœur aînée, qui voyait partir sa petite sœur sans trop comprendre.

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Tu respirais avec difficulté. Les secondes entre chaque respiration étaient de plus en plus longues. Elles ont fini par s’éterniser.

C’est à l’âge de 53 ans que tu as rendu ton dernier souffle.

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Je voulais rester seule avec toi. Te dire au revoir à ma façon, dans le silence de ta chambre, ta dernière demeure. Te serrer dans mes bras, une dernière fois.

Je me suis couchée sur ton ventre, encore tout chaud. J’ai pleuré.

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Je n’ai jamais eu cette fameuse discussion avec toi. Tu sais, celle qu’on voit dans les films lorsqu’une personne est sur le point de mourir. Les beaux échanges touchants? Ceux où tu m’aurais dit d’être forte, de prendre soin de mon père et de ma sœur, et donné de précieux conseils sur la vie. Mais peut-être que c’était mieux ainsi?

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Après ton départ, des images de toi au plus mal défilaient sans cesse dans ma tête. J’aurais voulu les effacer, les supprimer, mais elles étaient bien gravées dans ma mémoire, comme une empreinte sur le béton. C’est ton sourire que je voulais voir, ta joie de vivre, non pas ton regard désemparé et ton corps souffrant.

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Petit à petit, les beaux souvenirs ont repris leur place dans mon esprit. Je me suis souvenue de tes yeux pétillants lorsque tu me voyais danser sur scène. De nos jasettes sur le balcon l’été, à se faire bronzer au soleil. De ton plaisir à jardiner et à cultiver tes légumes avec amour. De ce doux moment à écouter les grands succès d’Aznavour. Tu étais si belle, si lumineuse.

***

J’ai dû apprendre à vivre sans toi. À accepter que tu ne sois jamais grand-maman.  Qu’on ne portera jamais un toast à la vie sur une terrasse en Italie. Que tu ne m’accueilleras plus jamais avec le sourire fendu jusqu’aux oreilles à l’aéroport. Que plus jamais je ne pourrai te serrer dans mes bras et te dire je t’aime.

***

Quand j’ai réalisé que je pouvais encore rire, décrocher l’instant d’un moment, j’ai su que j’y arriverais. Ce serait difficile, mais s’il y a une chose que tu m’as léguée, c’est ta propension au bonheur.

***

Si on me fait cadeau de la longévité, j’aurai passé en grande partie ma vie sans toi. Je sais pourtant que ton souvenir ne s’éteindra jamais. Tu n’es peut-être plus là, mais tu es et resteras toujours ma petite maman.

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